Les temps de l’urgence v/s l’urgence des temps
Manifeste des acteurs de l’urbanisme
Face à l’urgence climatique et l’interpellation démocratique, les besoins de réactivité et d’accélération de la fabrication de l’urbain se font de plus en plus pressants. Or la durée des mandats, les délais des procédures comme les pratiques des professionnels et des élus évoluent peu. Aussi, pour les projets urbains, la confrontation entre ces temps et ces réalités se révèle-t-elle contre-productive tout en générant parfois crispations et blocages.
C’est pourquoi nous, professionnels de l’urbain, posons le postulat suivant : la gestion du temps étant l’une des matières premières du projet urbain, la transformation des villes et des territoires doit s’organiser en articulant temps courts et temps longs. Ces temps doivent s’enrichir les uns les autres pour donner matière à des projets urbains intelligents et résilients.
Nous partageons et réaffirmons ici que chacun de ces temps est porteur de sens et d’intérêts :
- Le temps court permet de définir des méthodes, d’apporter des réponses à un besoin immédiat ou d’expérimenter à travers la préfiguration et le test qui donnent à voir aux habitants. Il permet aussi de générer la confiance des citoyens et de poser les bases d’un partenariat qui pourra être par la suite amplifié au cours du projet.
- Le temps médian est celui du faire et de la hiérarchisation de l’action qui peut se déployer pendant la durée du mandat. Il s’agit d’un temps de délibération démocratique où les parties prenantes doivent jouer à plein leur rôle critique et constructif.
- Le temps long est celui de la vision d’avenir. Il est capable d’intégrer la souplesse et l’adaptabilité, nécessaire à la construction et à la préservation du bien commun et de la responsabilité sociale. Il doit impulser un rythme et une visibilité des projets, alternant accélérations et ralentissements.
Au regard des enjeux et des intérêts portés par chacun de ces temps, nous souhaitons oeuvrer avec les décideurs et les pouvoirs publics et appelons les changements suivants :
- L’action doit prendre place dans une stratégie globale d’aménagement qui intègre et anticipe les évolutions du contexte économique, social et environnemental. Cela nécessite que les décisions politiques incluent la temporalité du mandat dans une continuité d’action qui la dépasse.
- La prise en compte des temps percute la multitude des visions d’acteurs. Ainsi habitants, acteurs de la gestion, acteurs privés de la promotion, opérateurs de la transition énergétique, monde associatif, autorités administratives, etc… doivent être invités à la table des projets. La mobilisation des acteurs doit devenir le véritable moteur de la transformation, de la conciliation, de la conformation, du co-apprentissage et de la construction d’une confiance durable.
- Face à l’injonction climatique, les procédures doivent accompagner et non entraver la mise en œuvre des projets urbains et de chacun des temps d’action.
- La commande de missions d’ingénierie de transformation de l’urbain doit se préciser et s’enrichir pour exprimer les objectifs des différentes temporalités du projet urbain.
Pour accompagner ces changements, nous nous engageons, en tant que professionnels, à modifier nos pratiques en intégrant la souplesse et l’intelligence exigées, par des méthodes itératives et la prise en compte des temporalités plurielles et la construction de stratégies qui se déploient dans le temps. Cela implique :
- La construction en continu de diagnostics actualisant en permanence les données sur les territoires pour donner lieu à des observatoires qui permettent de réinterroger les résultats et les objectifs.
- La définition de programmations plus ouvertes, qui puissent être infléchies dans le temps long sans pour autant remettre en cause les fondamentaux du projet. Et parallèlement, il faut qu’elles fixent une réalité d’action à court et moyen terme.
- La définition de stratégies construites à partir du réel, intégrant la maîtrise et les caractéristiques du foncier qui s’imposent au projet en tant que premier levier de transformation. Cela implique de porter une attention à la façon de s’installer sur le site, de faire et défaire et de créer des conditions pour que d’autres acteurs puissent intervenir.
- L’affirmation radicale du plan comme un guide de référence ouvert aux opportunités du temps long.
- L’évaluation régulière, en considérant qu’elle est un bon guide de l’action, y compris chemin faisant.
Pour que les projets aboutissent, l’orchestration des temps et des volontés des acteurs est impérative. Le temps constitue une ressource, un paramètre essentiel à appréhender et maîtriser dans un équilibre à remettre en question à chaque étape pour intégrer toutes les opportunités. Pour autant, l’ampleur des enjeux environnementaux et sociétaux auxquels nous sommes confrontés ne doit pas conduire à l’inaction : la confiance envers les générations futures doit valoriser la réversibilité et l’innovation. Ce jeu subtil nécessite une prise de conscience de tous les acteurs pour qu’un temps ne supplante pas l’autre et que l’action de court terme puisse constituer les prémisses de celle de long terme sans la conditionner.
Nous, acteurs de l’urbain, signataires du manifeste sur l’urgence de l’articulation des temps dans le projet urbain, affirmons que l’évolution des pratiques doit aller dans le sens d’une meilleure articulation des temps : répondre à des besoins immédiats en intégrant souplesse et adaptabilité tout en mettant en œuvre des stratégies à longue échéance est indispensable. Et c’est possible ! |